Depuis 2007, l’association bretonne Kaol Kozh (« vieux chou » en breton) oeuvre à la préservation des semences potagères, fourragères et céréalières, propres au territoire. Elle compte aujourd’hui 70 adhérents, jardiniers ou agriculteurs. Tous privilégient les cultures biologiques. La plupart d’entre eux produisent même des semences et effectuent un travail de sélection sur des variétés du terroir breton. Un véritable travail de fourmis, en faveur de la biodiversité au jardin et dans les champs ! Reportage sur l’exploitation agricole de René Léa, agriculteur bio et président de Kaol Kozh, dans son exploitation de Plouescat (29).
René Léa a planté des oignons rosé de Roscoff qui serviront à produire des semences © MEG_BDIl y a le ciel, le soleil, la mer et… la terre. A deux pas de la Manche, sur la commune de Plouescat (29), poussent tranquillement choux-fleurs de février et oignons rosés de Roscoff, sous le regard attentif de René Léa. Cheveux poivre et sel, cet agriculteur passionné par son métier depuis maintenant « près de 40 ans », s’est converti il y a 20 ans à l’agriculture biologique. Un changement de cap, pour cet homme amoureux de la terre, grâce à une prise de conscience des méfaits de l’utilisation de pesticides. « Dès que je les utilisais, je devenais de plus en plus malade », se souvient-il. « Et puis je me suis interrogé sur ma production : était-ce raisonnable de faire manger mes produits à mon fils ? » La réponse, il l’a trouvée dans l’agriculture biologique. Il poursuit aujourd’hui son engagement au sein de l’association Kaol Kozh, structure bretonne membre duréseau Cohérence, qui travaille à la préservation des semences issues du territoire breton, dont il est le président.
Faire perdurer les pratiques d’antan
L’histoire de Kaol Kozh a germé dans les années 2000. « J’étais adhérent de l’Association des Producteurs de Fruits et Légumes Bio de Bretagne (APFLBB), qui est née en 1997. A cette époque, on nous a proposé de cultiver une variété de chou-fleur bio. Mais dont le noyau de la semence provenait du radis. Pour nous, cela n’était pas envisageable. Cette démarche nous faisait penser à celle des OGM », raconte René Léa. Vient alors l’idée de faire perdurer les pratiques d’antan : garder les graines des fruits ou légumes les plus résistants, pour les planter l’année suivante. « Moi, j’ai toujours vu mes grands-parents et mes parents garder leurs graines et produire leurs semences. Cela me paraît tout à fait naturel de continuer dans ce sens », précise René Léa. L’intérêt, d’un tel système : ne plus dépendre des semenciers et préserver des variétés en voie de disparition. « En compagnie de chercheurs de l’INRA, nous avons démarré les expériences et avons réussi à produire un brocoli violet, originaire de Cornouaille Britannique, qui était cultivé autrefois en Bretagne », annonce non sans fierté René Léa.
Produire des graines ne s’improvise pas
Concrètement, Kaol Kozh considère que « la semence est la propriété de tous les adhérents ».
L’association recense sur le territoire breton les variétés locales tel
le Chou de Lorient, les fameux Coco de Paimpol, l’oignon d’Erdeven…C
ertains de ses adhérents utilisent sur leur terre ces semences, en
produisent, et les proposent alors aux autres qui le souhaitent. Le
jardinier, aussi bien que le paysan producteur, sont alors « indemnisés pour leur travail, la mise à disposition de la terre et les outils nécessaires pour la culture », indique René Léa, qui prévient que « produire
des graines, ça ne s’improvise pas ! Il y a tout un protocole à
respecter et une méthode à adopter pour que les graines soit
acceptables ».
Lui-même a planté dans ses champs des « porte-graines » de choux-fleurs
de février. Des choux sélectionnés avec soin par René, qui en récoltera
les graines en août, pour à son tour faire perdurer la variété et les
distribuer au sein du réseau Kaol Kozh.
Un peu plus loin sur son champ, ce sont des oignons rosés de Roscoff,
alignés bien sagement en rangs, qui délivreront leurs semences dès le
début août. Pas encore trop contrariés par la sécheresse, c’est donc
tout un patrimoine potager breton qui ne demande qu’à mûrir
tranquillement sur les terres de René Léa et de ses autres collègues.
Ces gardiens du patrimoine entendent bien ainsi « défendre le droit ancestral des paysans à produire leurs propres semences ».
La sélection participative s’associe à la recherche scientifique
Véronique Chable est chercheuse à l’INRA de Rennes. Elle travaille sur la génétique végétale et coordonne le projet européen SOLIBAM (Strategies for Organic and Low-input Integrated Breeding and Management. ), qui vise notamment à développer des variétés adaptées à l’agriculture biologique. Elle travaille sur « la sélection participative » avec les agriculteurs bio qui la pratique, dont les membres de Kaol Kozh.« La sélection participative permet aux agriculteurs bio de produire leur propres semences, adaptées à leur mode de production », explique Véronique Chable, qui travaille sur ce sujet avec les agriculteurs bio de France entière, ceux du réseau national Semences Paysannes et les bretons de Kaol Kozh, et qui coordonne le projet européen Solibam sur ce même sujet. Un système qui permet de s’écarter de toute standardisation, comme c’est le cas en agriculture conventionnelle. « En bio, on prend en compte le terroir, l’environnement, les pratiques de chacun », précise Véronique Chable. Un travail sous le signe de la biodiversité : il y a autant de variétés que d’agriculteurs ! Des agriculteurs qu’il faut également aider à retrouver les pratiques de sélection et de production de semences. Et il ne s’agit pas seulement de conserver des graines anciennes, mais aussi de création. « En ce moment, nous planchons sur la création d’une nouvelle variété de brocolis adapté à l’agriculture biologique. Pour cela, on observe les anciennes variétés, on fait des croisements, des associations, en collaboration avec les agriculteurs bio », détaille Véronique Chable. Une activité en pleine expansion, puisque aujourd’hui les groupes de jardiniers ou de paysans bio comme Kaol Kozh et le potager en avril fleurissent en France, et le réseau Semences Paysannes « est en pleine expansion », selon Véronique Chable.